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Les écritures anciennes de la Méditerranée

Guide critique des ressources électroniques

Sud-picène

- VIe - IIIe siècle avant J.-C.

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L'alphabet sud-picénien, dont l’origine est encore objet de discussion, se compose de vingt-trois signes, dont sept utilisés pour la transcription de sons vocaliques; on observe l’usage de la ponctuation inter-mots, exception faite de deux inscriptions présentant une séquence d’écriture continue (scriptio continua). Les inscriptions ne montrent pas de préférence dans le sens d’écriture (sinistroverse ou dextroverse). La difficulté à déchiffrer l’écriture et l’attribution incertaine d’une valeur phonétique sûre à deux graphèmes (le signe ‘en forme d’étoile’ et le signe ‘en forme de carré’), constituent les principales problématiques qui se sont présentées au cours des processus d’analyse et d’interprétation des inscriptions sud-picéniennes. La découverte relativement récente des processus de réduction des traits graphiques a permis d’aborder la graphie sud-picénienne sous un angle nouveau et d’effectuer une lecture enfin plus exacte des textes inscrits.


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Origine et ‘déchiffrement’

La détermination de l’origine de l’alphabet sud-picénien, considérée comme une dérivation et une longue série d’étapes alphabétiques, constitue actuellement une problématique encore ouverte à propos de laquelle les avis demeurent divergents. Les hypothèses proposées déplacent chaque fois l’attention sur une dérivation à partir de l’alphabet étrusque ou de l’alphabet grec eubéen: mais jusqu’à présent les apports de ces alphabets dans la genèse de l’alphabet sud-picénien n’ont pas été éclaircis.
Dans l’histoire des recherches de cette branche épigraphique, il a été souvent question de ‘déchiffrement’ pour rendre compte des difficultés interprétatives qui ont caractérisé ces inscriptions: en effet, l’aspect graphique s’est présenté dès les premières découvertes comme un obstacle qui a rendu ces textes inaccessibles pendant longtemps ou qui, quoi qu’il en soit, en a empêché une analyse linguistique adéquate et significative. Aujourd’hui, le ‘déchiffrement’ de l’alphabet sud-picénien est pratiquement complet, même si on n’a pas encore réussi à attribuer à deux graphèmes (le signe ‘en forme d’étoile’ et le signe ‘en forme de carré’) une valeur phonétique acceptée de tous.
L’alphabet utilisé pour rendre sous forme graphique les inscriptions sud-picéniennes apparaît comme un système homogène dans ses manifestations quoique renfermant quelques variantes, par ailleurs reconnaissables. Sur les vingt-trois signes, sept rendent un son vocalique: ([a], [e], [í], [i], [o], [ú] e [u]).

L’attribution d’une valeur phonétique n’est pas unanimement reconnue pour les signes suivants:
- signe ‘en forme d’étoile’: ce signe n’apparaît que dans deux cas à l’intérieur de l’inscription sur stèle provenant de Penna Sant’Andrea I (Teramo) (cf. Exemples d’écriture). En 1985, A. Marinetti, dans son édition du corpus sud-picénien, avance l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’un signe pour rendre un son aspiré [h], ou sinon d’une sifflante: bien qu’il choisisse de translittérer le signe comme <ś>, l’attribution de la valeur phonétique reste douteuse. A. La Regina (A. La Regina, Il guerriero di Capestrano e le iscrizioni paleo sabelliche, in Pinna Vestinorum e il popolo dei Vestini, a cura di L. Franchi dell’Orto Roma 2010), attribue à ce signe une valeur d’aspiration, compatible avec les positions dans lesquelles il apparaît, et le transcrit comme < h> ;
- signe ‘en forme de carré’: ce signe est transcrit par A. Marinetti (1985 cit.) comme , même si dans certaines positions sa valeur n’est pas vraiment claire. Le signe, qui dans les inscriptions se trouve également en position post-vocalique, pourrait se configurer comme le résultat d’une sifflante ou d’une dentale sonore et, en même temps, dénoncer un processus de réduction des diphtongues ou bien avoir une valeur vocalique [í]. A. La Regina (2010 cit.), refusant les hypothèses relatives à une valeur aspirée ou sifflante, soutient que le graphème rend un son vocalique et le transcrit comme <ô>.


La réduction des signes graphiques

Le processus de réduction des signes, qui consiste en une simplification de certains traits graphiques, représente un aspect particulier de l’alphabet sud-picénien. Le phénomène s’opère à travers la modification des graphèmes pour a, q, t et í dans lesquels certains traits qui étaient des barres deviennent des points, ainsi que dans la réduction à un point des formes circulaires comme dans le cas des signes pour o et pour f (signe ‘en forme de huit’ dans le modèle étrusque), dont la compréhension est due justement à l’inférence d’un processus de réduction advenu. Dès les premières découvertes, on avait noté la présence de nombreux points dans les séquences inscrites rendus par trois points superposés (⁝), deux points superposés (:), des points uniques (.). En 1962 G. Radke (G. Radke, Umbri, in Pauly-Wissowa IX suppl. 1962, coll. 1764-1781) proposa d’interpréter le point unique comme la marque du signe circulaire, c’est-à-dire le graphème pour le son vocalique [o]. À partir de cette hypothèse, A. La Regina interprètera ensuite les deux points superposés comme la réduction de deux éléments circulaires superposés constituant le signe ‘en forme de huit’ de provenance étrusque avec la valeur [f]. La tendance à la simplification qui se manifeste dans les deux lettres semble se faire en totale adéquation avec la réduction observée dans chaque trait des lettres a, q, t et í.
 


TABLEAU DE SYNTHÈSE DES PROCESSUS DE RÉDUCTION DU MODÈLE ÉTRUSQUE AU MODÈLE SUD-PICÉNIEN::

 

- signe < o  > > signe <simbolo>

- signe < 8  > pour [f]  > signe <simbolo >


TABLEAU DE SYNTHÈSE DES PROCESSUS DE SIMPLIFICATION DES TRAITS GRAPHIQUES À L’INTÉRIEUR DE L’ALPHABET SUD-PICÉNIEN: :

 

simbolo > simbolo

simbolo>simbolo>simbolo

simbolo>simbolo et simbolo>simbolo

 simbolo> simbolo

Ce phénomène correspond à une logique graphématique qui tient compte des limites d’éventuelles homographies non économiques à l’intérieur d’un système alphabétique; cela s’observe nettement dans l’absence de simplification du trait central pour u qui, s’il avait été rendu par un point, aurait créé une situation d’homographie avec le graphème pour a. La révision des valeurs des signes pour < o> et pour < f> a conduit en outre à une révision de la fonction de la ponctuation: en effet, on avait pensé précédemment que cette dernière fonctionnait sur le plan morphologique – syllabique et même comme un outil d’abréviation. Une fois définie la nature des graphèmes pour le point unique = signe pour o et pour les deux points superposés = signe pour f, il a été possible de déterminer avec certitude la seule valeur inter-mot de la ponctuation dans la graphie sud-picénienne. En règle générale, celle-ci est rendue par trois points superposés, avec tout de même quelques exceptions: à l’intérieur du corpus on a en effet deux inscriptions en scriptio continua (l’inscription sur le guerrier de Capestrano et l’inscription sur le ciboire provenant de Campovalano) et une inscription présentant une ponctuation entre les mots au moyen de traits verticaux (inscription sur stèle provenant de Falerone).


Supports d’écriture

Les inscriptions conservées liées au corpus sud-picénien se présentent presque toutes sur des supports en pierre; il s’agit pour la plupart de stèles en grès de dimensions imposantes qui nous sont parvenues plus ou moins fragmentées et qui peuvent montrer des traces d’écriture sur un ou plusieurs côtés du monument. Mais elles figurent aussi sur des monuments qui, outre la partie écrite, présentent aussi, ou ont conservé, une portion de la pierre où apparaissent des éléments iconographiques représentant la figure humaine en entier (comme dans le cas de la stèle découverte à Bellante) ou bien seulement le visage humain, comme sur les deux stèles retrouvées à Penna Sant’Andrea (Teramo) I et II (pour ces dernières, cf. Exemples d’écriture). La statue du ‘guerrier de Capestrano’ (cf. Exemples d’écriture), sur laquelle l’écriture prend place sur un monument iconographique d’une valeur exceptionnelle, est un cas particulier à considérer à part. Dans le corpus on trouve d’autres typologies de supports d’écriture: on observe la présence d’une inscription sur un vase découvert à Campovalano et celle d’une autre inscription sur un bracelet en bronze provenant de la vallée du Pescara (cf. Exemples d’écriture). Enfin, on mentionnera deux casques en bronze retrouvés à Bari et à Bologne servant de supports à plusieurs courtes inscriptions en graphie sud-picénienne. De tous ces supports, les seuls passibles d’une datation archéologique sont: la statue monumentale de Capestrano pour laquelle a été proposé le milieu du VIe siècle av. J.-C.; le vase de Campovalano que l’on estime remonter au premier quart du VIe siècle av. J.-C.; les inscriptions retrouvées à Penna Sant'Andrea pour lesquelles a été proposé le Ve siècle av. J.-C. et, enfin, les deux casques dont la date se situerait entre la fin du IVe et le début du IIIe siècle av. J.-C.


Direction de l’écriture et disposition du texte

Les inscriptions sud-picéniennes témoignent d’une indifférence générale quant à la direction de l’écriture; la graphie est aussi bien dextroverse que sinistroverse, sur une ou plusieurs lignes, avec un mouvement boustrophédique, pseudo-boustrophédique, etc; les lettres sont souvent retournées, même si l’ouverture des lettres a tendance à se conformer à la direction de l’écriture.
Pour ce qui est de la disposition du message à l’intérieur des espaces d’écriture, on observe diverses solutions; d’une manière générale, il semble que l’écriture se conforme au support, ce qui est particulièrement évident dans l’inscription sur la stèle de Bellante où l’écriture apparaît comme le couronnement de la surface iconographique représentant une figure humaine. Bien que les textes montrent en général un soin graphique et calligraphique évident, les trois inscriptions sur stèle découvertes à Penna Sant’Andrea (Teramo) (cf. Exemples d’écriture) semblent manifester une attention particulière à l’égard de la disposition et de la conception de l’écriture à l’intérieur de l’espace épigraphique.