Mnamon

Les écritures anciennes de la Méditerranée

Guide critique des ressources électroniques

Lemnien

- VIe siècle av. J.-C.

par: Daniele F. Maras     DOI: 10.25429/sns.it/lettere/mnamon049   (traduit par Nicole Maroger)
Dernière mise à jour: 9/2022


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Stèle de Kaminia (Lemnos)


L’écriture utilisée pour transcrire la langue de Lemnos provient d’un alphabet grec de type oriental ‘rouge’ avec quelques adaptations.

La nécessité en particulier de marquer deux types différents de sifflantes a imposé d’ajouter à côté d’un sigma normal à quatre traits, une variante à trois traits ‘régularisée’, avec le trait central disposé dans le sens vertical.

Par analogie avec l’étrusque, on peut imaginer que le sigma régularisé, transcrit simplement comme s et utilisé pour les terminaisons du génitif et du datif (-s, -si), servait à marquer la sifflante simple (s de "semis") ; de ce fait, le sigma à quatre traits, transcrit comme ś, réalisait probablement une sifflante marquée (semblable par exemple au sc de "cheval").

Comme pour l’étrusque, la langue de Lemnos n’utilisait pas les occlusives sonores /b g d/ et ne différenciait pas les sons /u/ e /o/ ; mais, contrairement à l’écriture répandue en Italie, on préféra utiliser l’omicron, abandonnant l’ypsilon dans l’usage.

L’usage des aspirées φ χ θ est identique à la langue étrusque, mais contrairement à cette dernière on ne possède pas de témoignage de signes correspondant au son /f/ (qui dans l’Italie archaïque a été transcrit d’abord par le digramme hv ou vh puis par le signe en forme de 8). Il se peut donc que la langue de Lemnos n’ait pas eu besoin d’indiquer ce son (ce qui la distinguerait fortement de l’étrusque), ou bien que dans l’écriture le son ait été assimilé à l’aspirée φ (comme tendrait à le prouver la correspondance lexicale naφoθ[s] ~ neftś.

 

Sur la base de ces données et même en l’absence de tout abécédaire, il est possible de reconstituer une séquence alphabétique théorique:

a e v h θ i k l m n o p r s ś t φ χ

 

On observera que certains sites et certaines publications relatives aux inscriptions en langue de Lemnos ont recours à une convention graphique différente pour la transcription des sifflantes, rendues comme s - z.

Le sens de ces inscriptions progresse généralement de droite à gauche, mais on relèvera quelques cas de boustrophédon, comme dans la dédicace provenant du sanctuaire archaïque d’Héphaïstias (théâtre), qui progresse de droite à gauche à la seconde ligne (à lire en premier) et en sens inverse à la première ligne.

Dans les textes plus longs, à Kaminia comme à Héphaïstias, la ponctuation est indiquée régulièrement par trois points superposés sauf lorsque la fin d’un mot coïncide avec la fin d’une ligne.

 


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Alphabet importé ou création locale?

Un problème sur lequel s’est penché une partie de la critique moderne concerne la question de savoir si l’écriture utilisée pour transcrire la langue de Lemnos est une adaptation de l’écriture étrusque, importée d’Italie (suite à l’installation de navigateurs étrusques sur l’île) ou bien une création autonome dans le sillage des écritures grecques de la mer Égée.

En faveur de la première hypothèse on a invoqué surtout la présence du chi en forme d’arbuste, selon la tradition des alphabets "rouges" occidentaux (comme l’alphabet eubéen-chalcidien), répandus en Italie, alors qu’en règle générale, les écritures de l’Égée du nord font partie du système "bleu".

Toutefois, si l’on fait exception de cette caractéristique commune, les différences qui séparent l’écriture de Lemnos de l’écriture étrusque sont nombreuses, à commencer par le choix d'omicron à la place d’ypsilon pour marquer la voyelle vélaire fermée et par la forme du sigma à quatre traits (alors que l’étrusque connaît des oppositions sigma vs. tsade c’est-à-dire sigma à 3 et à 4 traits, mais jamais sous la forme régularisée de Lemnos).

Un élément significatif pourrait être la ponctuation syllabique: en effet, si sa présence dans l’écriture de la stèle de Kaminia (C. de Simone, G. F. Chiai, 2011) était confirmée, on aurait là une preuve du contact entre la tradition scribale étrusque et celle de Lemnos.

Tout compte fait, en l’état actuel des connaissances, l’hypothèse la plus vraisemblable est que l’écriture de Lemnos est une création indépendante propre à l’aire égéenne (L. Agostiniani, 2012) et que le chi en forme d’arbuste est une variante, c’est-à-dire un élément de la tradition graphique "rouge" égaré à l’intérieur d’un alphabet entièrement "bleu".

Mais, de nouvelles découvertes futures pourraient fournir matière à alimenter le débat.