Mnamon

Les écritures anciennes de la Méditerranée

Guide critique des ressources électroniques

Ombrien

- IVe siècle – première moitié du Ier siècle av. J.-C.

par: Alessia Ventriglia (traduit par Nicole Maroger)


  • Présentation
  • Index
  • Approfondissements


Tables de Gubbio - tab. n.5b


Les écritures ombriennes qui, d’après les découvertes actuelles, sont datables entre le IVe siècle et la première moitié du Ier siècle av. J.-C., sont constituées par les graphies utilisées dans l’antiquité dans l’aire géographique de l’Ombrie ancienne qui s’étendait aussi bien à l’est qu’à l’ouest du Tibre, jusqu’aux limites de la Sabine qui en était excluse. Bien qu’il existe d’autres attestations dites mineures, ces écritures sont connues surtout grâce aux Tables Eugubines, des tablettes en bronze découvertes dans les environs de Gubbio qui, outre qu’elles constituent le témoignage le plus long et le mieux structuré que nous ayons de cette écriture, présentent aussi la particularité d’avoir été écrites en langue ombrienne mais avec deux alphabets différents : un à base étrusque, l’autre à base latine. D’après l’analyse de ces pièces, il est donc possible de constater que le nombre de signes utilisés pour véhiculer l’ombrien varie d’un minimum de 20 pour la graphie à base latine à un maximum de 21 pour la graphie à base étrusque.


Voir les ressources en ligne de l’écriture.

Ressources en ligne


Index

Définition d’ombrien et type d’écriture

À l’intérieur de la péninsule italienne, l’ombrien présente, comme l’osque, la particularité d’exprimer sa langue en se servant de deux systèmes graphiques différents qui sont, respectivement :

  1. 1) de dérivation étrusque ;
  2. 2) de dérivation latine.

Toutefois, cette solution originale n’est pas rare parmi les langues de l’Italie ancienne. En effet, comme nous l’avons dit, elle se trouve parfaitement illustrée dans l’osque (langue souvent associée à l’ombrien, bien que de manière impropre du fait qu’il n’est pas tenu compte de leurs différences, sous l’étiquette désormais tombée en désuétude d’ "osco-ombrien" visant à indiquer un groupe de langues de l’Italie ancienne ayant de nombreuses affinités entre elles et dont les deux plus importantes sont justement la langue osque et la langue ombrienne). Ce dernier, toutefois, à la différence de l’ombrien, s’écrit en utilisant trois bases graphiques différentes, dérivant respectivement des alphabets étrusque, grec et latin et non pas deux, comme c’est le cas au contraire pour l’ombrien pour lequel manque la graphie dérivant de l’alphabet grec. En outre, la graphie ombrienne a aussi en commun avec l’osque le fait d’avoir emprunté l’alphabet encorio à l’alphabet étrusque.

Cependant, les affinités entre les deux langues qui, bien qu’appartenant à un même groupe linguistique, sont distinctes, et leur écriture respective, s’arrêtent là. En effet, la graphie ombrienne:

  1. 1) se trouve attestée dans une aire géographique totalement différente de celle de l’osque;
  2. 2) adapte et modifie l’alphabet étrusque de manière autonome par rapport à l’osque, allant jusqu’à créer des solutions graphiques absolument différentes et innovatrices ;
  3. 3) ne semble pas être un phénomène de koinè;
  4. 4) introduit de nouveaux signes tout comme l’osque mais, alors que l’osque utilise de nouveaux signes pour exprimer des sons vocaliques, l’ombrien utilise de nouveaux signes pour exprimer des sons consonnatiques ;
  5. 5) emploie l’alphabet à base latine peut-être dès la première moitié du IIe siècle av. J.-C., c’est-à-dire au cours d’une période légèrement antérieure à celle où la langue osque décide d’utiliser aussi le système graphique à base latine et il semblerait, mais la question est encore ouverte, que l’alphabet latin ait été même utilisé en co-occurrence avec l’alphabet à base étrusque comme tendrait à le prouver la table n° 5 des célèbres Tables Eugubines. En effet, sur l’un de ses deux côtés, cette table présente un texte rédigé en graphie étrusque et un texte rédigé en graphie latine dont les contenus sont en rapport étroit.

 


Aire de diffusion des systèmes d’écriture de l’ombrien

En ce qui concerne les aires de diffusion des deux systèmes graphiques de l’ombrien, il convient de dire que, contrairement à l’osque qui, à en croire les attestations sporadiques et inégalement réparties sur des territoires très éloignés les uns des autres, utilise le système graphique à base latine vraisemblablement à des fins uniquement politiques, pour l’ombrien il n’existe aucune différence ni temporelle ni géographique dans la distribution des deux graphies (il suffit de penser par exemple à Assise d’où proviennent des textes datables de la même période et rédigés aussi bien en graphie à base étrusque qu’en graphie à base latine, ou à Gubbio où les deux graphies vont jusqu’à coexister dans le même document). C’est pourquoi, aussi bien l’écriture à base étrusque que l’écriture à base latine sont attestées dans toute l’Ombrie ancienne, s’étendant à l’est comme à l’ouest du Tibre jusqu’à la Sabine non comprise (correspondant aujourd’hui à la province de Rieti et à quelques infimes parties des provinces de Viterbe et de Rome). Cette différence avec l’osque pourrait cependant ne pas représenter un élément de distinction important si l’on considère non seulement que l’Ombrie ancienne a une extension territoriale bien inférieure à celle du territoire où est présente la graphie osque mais aussi que la construction de la voie Flaminienne (voulue par le consul C. Flaminius en 232 av. J.-C. mais, selon certaines sources, parmi lesquelles Strabone, commencée en 223 et terminée vraisemblablement en 219 av. J.-C.) qui, comme chacun le sait, traverse toute l’Ombrie ancienne, pourrait avoir contribué à favoriser la diffusion de la graphie à base latine. En outre, en l’état actuel de nos connaissances, une autre différence encore avec l’osque, pour ce qui concerne l’aire d’attestation de la graphie, consiste dans le fait que si, pour l’osque des attestations sont connues aussi hors d’Italie (Provence), pour l’ombrien les seules attestations se trouvent exclusivement dans l’ancien territoire des Ombriens comme le prouve le fait que bon nombre d’inscriptions provient de la région de Terni, plus précisément de Spoleto, d’Assise et de Gubbio d’où, par ailleurs, proviennent les fameuses Tables Eugubines qui, actuellement, représentent le document le plus siginificatif et le plus long de la langue et de la graphie de l’ombrien puisque, comme on l’a déjà dit, y figurent aussi bien la graphie à base étrusque que la graphie à base latine.


Modalités formatives des systèmes d’écriture de l’ombrien

Avant d’entrer dans le vif des deux systèmes graphiques sur lesquels se fonde l’ombrien, il convient de dire qu’entre ces deux systèmes alphabétiques, celui qui présente le plus de particularités et le plus d’adaptations est sans l’ombre d’un doute le système à base étrusque. En effet, si l’on compare l’ombrien à base étrusque et l’ombrien à base latine, on peut remarquer que les modifications realtives à la graphie latine semblent se limiter aux éléments suivants :

  1. introduction de quelques signes diacritiques (par exemple le signe sur le S ( = [ç])  pour représenter l’équivalent phonétique du signe [ç] de la graphie ombro-étrusque) ;
  2. création de quelques digraphes combinant des signes déjà présents dans l’alphabet modèle (par exemple l’usage de transcrire le signe ombrien , qui phonétiquement équivaut à un [ɖ] et donc à un son absent dans la langue latine, avec le digraphe ).

Dans l’ombrien à base étrusque par contre, on remarque une plus grande originalité et la mise en acte de processus compliqués de réadaptation de la graphie qui, outre le fait qu’ils n’ont pas nécessairement disparu d’un seul coup, ont une incidence sur deux plans:

  1. la nature matérielle du système alphabétique qui concerne tant la forme que l’introduction de nouveaux signes ;
  2. les règles orthographiques qui déterminent l’utilisation des différents signes et le fonctionnement du système alphabétique.

Généralement, cette réadaptation se produit parce que le modèle alphabétique de référence dans lequel puiser peut pécher ou par excès ou par manque de signes. Ainsi, une fois que les différences entre la langue d’arrivée et la langue de départ ont été comprises, les seules solutions possibles pour créer un nouveau système alphabétique susceptible de remédier aux éventuelles carences du modèle de référence sont les suivantes:

  • inventer de nouveaux signes ;
  • modifier la valeur d’autres signes non fonctionnels dans la langue d’arrivée mais présents dans la langue de départ;
  • se servir d’un modèle alphabétique "accessoire" par rapport au "principal" dans lequel puiser des signes en mesure de combler les lacunes;
  • faire usage en même temps des trois solutions.

Au terme de ce processus, on veille généralement à éliminer des signes superflus et/ou redondants. Étant donné que l’ombrien est une langue indo-européenne, il ne faut plus alors s’étonner si les modifications graphiques et les innovations les plus importantes se retrouvent justement quand les Ombriens décident de prendre comme modèle l’alphabet d’une langue non indo-européenne comme l’étrusque plutôt que celui d’une langue indo-européenne comme le latin, bien que ni l’une ni l’autre ne satisfassent pleinement les exigences expressives de la langue ombrienne. Cependant, malgré l’incapacité des deux modèles alphabétiques de référence à exprimer les particularités de la langue ombrienne, il est important de souligner que l’ombrien a fait le choix d’adopter l’alphabet latin dans son intégralité, sans y apporter aucune modification. Outre que pour des raisons de caractère purement linguistique, cela pourrait s’expliquer par un processus de latinisation désormais avancé qui aurait beaucoup rapproché les deux cultures (et peut-être les deux langues), ou bien par le prestige considérable dont auraient joui la langue et la graphie latines auprès des Ombriens, bien qu’on ne puisse exclure l’influence conjointe des deux motivations.


Alphabet à base étrusque (IVe siècle – première moitié du Ier siècle av. J.-C.)

L’alphabet de dérivation étrusque est celui dans lequel ont été rédigées les inscriptions ombriennes les plus anciennes qui nous soient parvenues. Il représente en effet le premier système graphique des Ombriens, employé déjà à partir du IVe siècle av. J.-C. à la suite d’un certain nombre de modifications apportées à l’alphabet étrusque de l’aire septentrionale utilisé communément dans les régions étrusques limitrophes du territoire ombrien. C’est pourquoi on peut dire à bon droit que l’alphabet à base étrusque, grâce aussi aux modifications apportées, est par excellence l’alphabet encorio, c’est-à-dire indigène, et que, par conséquent, il mérite l’adjectif d’ombrien à tous les effets. À en juger d’après les textes et en particulier d’après les Tables Eugubines qui sont le témoignage le plus long et le mieux structuré de la graphie et de la langue ombrienne, il semble, comme nous le disions, que l’alphabet ombrien à base étrusque ait utilisé comme modèle principal de référence l’alphabet étrusque de l’aire septentrionale (de Pérouse selon certains, de Cortone selon d’autres) qui se différencie de l’alphabet méridional surtout par :

  • - la présence constante du signe pour K () pour exprimer le son [k] là où, au contraire, l’alphabet étrusque de l’aire méridionale, pour exprimer le même son [k], utilise jusqu’à trois signes différents ( = g,  = k,  = q) selon le timbre de la voyelle qui suit;
  • - le san grec () pour exprimer la sifflante [s].

Les inscriptions les plus anciennes rédigées d’après cette base alphabétique comptent généralement peu de lignes (on citera comme exemple la dédicace figurant sur le célèbre "Mars de Todi") et consistent essentiellement en dédicaces et/ou noms. Ainsi, c’est seulement à travers les Tables de Gubbio qui, comme nous l’avons dit, représentent non seulement le document le plus long et le plus précieux de la langue et, en même temps, des deux systèmes d’écriture ombrienne, mais qui constituent aussi un exemple presque complet de l’alphabet ombro-étrusque, de ses particularités linguistiques et des choix graphiques fait par l’ombrien par rapport à l’étrusque, que nous pouvons nous forger une idée claire et précise de l’alphabet ombrien et de son adaptation à partir de l’étrusque. C’est pourquoi, grâce à ces documents, nous pouvons dire que l’alphabet ombrien à base étrusque, à la différence de l’alphabet étrusque sur lequel il se base, présente les caractéristiques suivantes :

  1. 1) le signe pour la sonore [b], mais pas ceux pour les sonores [g] et [d] à la place desquels il utilise respectivement le signe pour indiquer aussi bien le son [k] que le son [g] et le signe pour indiquer aussi bien le son [t] que le son [d], là où, en étrusque, ces signes n’exprimaient respectivement que les sons [k] et [t];
  2. 2) l’absence de tout signe pour les aspirées (φ = phi, χ = chi) ) à la seule exception près de θ = theta dont la valeur phonétique semblerait être celle de [t] ou celle de [d], bien que, si l’on opte pour la valeur phonétique de [t], le motif qui pousse au recours de deux signes différents (theta theta et le signe pour t) pour exprimer un seul son n’apparaisse pas clairement, alors qu’il manque un son pour exprimer le son [d]. De plus, dans au moins un cas, il semble que le signe de theta ait été utilisé pour exprimer le son d’une dentale secondaire issue d’un groupe consonnantique constitué de nasale + dentale, ce qui donne θ = nt > nd > d;
  3. 3) la présence de deux nouveaux signes,  et , qui, naturellement, afin de ne pas altérer la séquence mnémonique de l’alphabet, sont placés à la fin et correspondent, respectivement, à [ɖ] et à [ç], sons absents dans la langue étrusque;
  4. 4) l’utilisation du signe pour indiquer h là où le modèle étrusque a, au contraire, le signe ;
  5. 5) l’usage du signe pour V pour indiquer aussi, à côté de la voyelle [u] déjà présente en étrusque, la voyelle [o] qui, par contre, comme on le sait déjà, n’est pas présente en étrusque.

Au contraire, l’alphabet ombrien a en commun avec l’étrusque, bien qu’avec des différences phonétiques dues à la diversité de la langue:

  1. 1) le signe pour f en forme de 8, mais il est difficile de dire si le son était semblable à celui du f italien ou à celui imaginé pour l’étrusque, tandis qu’il est sûr, comme on l’a dit, qu’il s’agit d’un son typiquement italique d’autant plus qu’on le retrouve chez d’autres populations italiques comme par exemple les Sabins, les Picéniens et les Osques;
  2. 2) le signe V pour indiquer le son [u], bien qu’à la différence de l’étrusque, en ombrien ce signe serve à transcrire aussi le son pour [o];
  3. 3) la conservation du san pour indiquer une sifflante bien qu’il ne soit pas clair à quelle sifflante il correspond en ombrien du moment qu’il existe déjà le signe pour s pour indiquer le son [s]. C’est pourquoi, la présence d’un autre signe appartenant à la série des sifflantes peut induire à penser que san a été utilisé pour exprimer ou une autre sifflante dont la valeur phonétique pourrait être [ss] ou [∫], ou bien, plus simplement, une variante de sigma.

En définitive, par rapport à l’alphabet étrusque de l’aire septentrionale dont on pense que l’alphabet ombrien à base étrusque découle, on peut relever dans l’ombro-étrusque des différences concernant:

  1. 1) le nombre des signes employés puisque dans l’ombro-étrusque on en compte 21 contre 20 dans l’alphabet étrusque septentrional ; en outre, dans le passage de l’étrusque à l’ombrien, ils subissent encore une diminution, conservant seulement 18 des signes originaires;
  2. 2) l’élimination de seulement deux signes pour les aspirées, à savoir les signes pour φ = phi et pour χ = chi chi et non pas de tous les trois comme, au contraire, cela aurait été davantage concevable étant donné que l’ombrien, tout comme l’osque, n’a pas de sons aspirés;
  3. 3) l’utilisation de 4 signes seulement pour exprimer un système vocalique composé d’au moins 5 sons ([a], [e], [i], [o], [u]);
  4. 4) l’ajout, toujours pour des motifs phonétiques, de signes absents en étrusque, ce qui entraine:
  • - la réintroduction du signe pour B pour indiquer le son [b] et qui, déjà employé dans d’autres séquences alphabétiques ou transmis quoiqu’il en soit dans ce que l’on appelle les séquences alphabétiques théoriques (par exemple l’alphabet théorique de Marsiliana d’Albenga), est réinséré à sa place originelle;
  • - l’introduction pour la toute première fois du signe  qui, transcrit avec ou ř, phonétiquement équivalent à [ɖ] et issu, comme dans le cas de l’osque, d’une variante du signe pour R (peut-être en vertu du fait que dans l’alphabet modèle étrusque le signe en forme de D s’avérait déjà utilisé pour indiquer le son pour [r] puisque les consonnates occlusives sonores n’existaient pas en étrusque), est inséré à côté du signe , à la fin de la séquence alphabétique parce qu’étranger au patrimoine formel précédant.
  • - l’introduction pour la toute première fois du signe  qui, transcrit avec ç et phonétiquement équivalent à [ṭ] ou à [ç]) ou à [ʃ], est inséré, comme le signe , à la fin de la séquence alphabétique parce qu’étranger au patrimoine formel précédent.

Enfin, il faut préciser que le sens de l’écriture va de droite à gauche, comme pour l’alphabet étrusque, tandis que la forme des lettres a tendance à se régulariser avec le temps, de sorte que, si au IVe siècle elle rappelle de très près l’aspect des lettres de l’alphabet étrusque et s’il n’y a aucune séparation entre les mots (c’est le cas de l’inscription du "Mars de Todi" qui remonte justement au IVe siècle av. J.-C.), à partir du IIIe siècle les lettres tendent à prendre une forme plus carrée et plus régulière et l’on écrit en séparant les mots par l’intermédiaire d’un ou deux points.


Alphabet à base latine (première moitié du IIe siècle – première moitié du Ier siècle av. J.-C.)

Le second système d’écriture dont se sert la langue ombrienne est le système à base latine dont les attestations, comme nous l’avons dit, bien qu’on les retrouve sur tout le territoire de l’Ombrie ancienne et, dans certains cas, en co-occurrence avec les inscriptions ombriennes à base étrusque, semblent se situer au cours d’une période chronologiquement postérieure par rapport à celle où apparaît la graphie ombrienne à base étrusque. Cependant, bien qu’il soit pratiquement sûr que dans les inscriptions ombriennes l’alphabet latin ait été introduit après l’alphabet étrusque, il s’avère plus difficile et plus problématique de comprendre l’usage simultané des deux systèmes alphabétiques et les éventuelles normes qui en réglaient l’usage, et cela pour toute une série de raisons:

  1. 1) la disproportion qualitative du corpus documentaire de l’ombrien qui, en effet, apparaît constitué, d’une part, par les Tables Eugubines qui représentent le document le plus important, le plus long et le plus riche de toute l’Italie ancienne et dans lequel coexistent aussi bien le système d’écriture à base étrusque que le système à base latine, et d’autre part, par quelques dizaines d’inscriptions, dites mineures, dont l’extension varie d’un mot à un maximum de trois lignes;
  2. 2) la difficile datation des inscriptions pour des motifs archéologiques, linguistiques et épigraphiques concernant non seulement les Tables Eugubines mais aussi les inscriptions dites mineures.

Si on analyse les Tables Eugubines, en particulier la table n. 5, nous pouvons y observer que les deux systèmes alphabétiques coexistent ; le texte en graphie à base étrusque ayant été matériellement rédigé avant le texte en graphie à base latine, tout au moins dans ce cas on est certain que le système alphabétique latin a été utilisé après, même s’il est impossible d’évaluer combien de temps après. Si, par contre, on analyse les tables n. 1 et 2 rédigées en alphabet à base étrusque, et les tables 6 et 7 rédigées en alphabet à base latine, les choses se compliquent.
En effet, si la présence en parallèle des deux systèmes graphiques dans la table n. 5 prêterait à penser que toutes les tables écrites en graphie ombrienne, telles justement les tables n.1 et 2, ont été écrites avant toutes celles rédigées en graphie latine, en réalité la situation est plus compliquée. En effet, la table n. 5, comme nous l’avons dit, semble marquer la ligne de partage chronologique entre les deux graphies, mais du point de vue du contenu elle n’a rien à voir avec les autres car elle énonce des décrets à caractère organisatif et financier là où les autres présentent un contenu religieux et donc un style d’écriture radicalement différent par rapport à celui de la table n.5. Par conséquent, il apparaît clairement que la table n. 5 ne peut pas être utilisée pour résoudre la question chronologique relative à l’usage des deux systèmes graphiques, non seulement parce que son contenu n’est pas comparable à celui des autres tables mais, aussi, parce que le texte en alphabet latin pourrait avoir été ajouté au texte en graphie ombrienne bien plus tard et pour des motifs tout autres par rapport à ceux qui pourraient avoir poussé la population ombrienne à se servir aussi de la graphie latine pour rédiger ses textes. Par ailleurs, la confrontation entre les tables rédigées en graphie ombrienne (cf. tables n. 1 et 2) et celles rédigées en graphie latine (cf. tables n. 6 et 7) confirment si besoin était la complexité de la question. En effet, du point de vue du contenu, les tables n. 6 et 7 sembleraient être une transcription en graphie latine du rituel qui, dans les tables n. 1 et 2, est rédigé en ombrien, si ce n’était que cette transcription non seulement ne reproduit pas fidèlement le message des tables n. 1 et 2 mais introduit aussi des variantes importantes et un plus grand nombre de détails par rapport aux deux textes en graphie ombrienne auxquels, jusqu’à ce jour, les savants n’ont pas réussi à donner une explication inéquivocable et claire. D’autres éléments enfin compliquent ultérieurement la question chronologique relative à l’usage de la graphie à base latine, à savoir:

  1. 1) la présence d’une certaine influence de la langue latine dans les inscriptions ombriennes dites mineures qui semblerait prouver non seulement que l’ombrien, comme langue et comme graphie, a été utilisé également après la diffusion de la langue latine, mais aussi que, si la langue latine a influencé la langue ombrienne, la latinisation dans cette région est advenue vraisemblablement avant la guerre sociale (90-89 av. J.-C.) et qu’elle s’est achevée, selon toute probabilité, au cours de la diffusion de la graphie à base latine, c’est-à-dire dès vers la fin du IIe siècle av. J.-C. (comme semblerait le confirmer par ailleurs la découverte du texte en graphie à base étrusque provenant d’Assise lequel, selon F. Coarelli, est postérieur à un autre document ombrien, provenant d’Assise également, mais rédigé en graphie latine);
  2. 2) l’adoption intégrale de l’alphabet latin sans aucune modification ni aucune adaptation ; ce choix, diamétralement opposé à celui qui fut fait pour l’alphabet étrusque, lequel avait été adopté seulement après avoir subi des modifications, laisse non seulement supposer que l’alphabet à base latine (employé pour ainsi dire en version intégrale) est susceptible d’avoir été perçu comme tout à fait apte à représenter l’identité nationale des Ombriens mais aussi que, pour les Ombriens, la langue et la graphie latines étaient tellement prestigieuses, tellement familières et usuelles qu’elles n’avaient besoin d’aucune adaptation. Enfin, ces hypothèses pourraient contribuer également à justifier certaines anomalies ou solutions peu économiques présentes dans la graphie à base latine.

En effet, si on examine attentivement les caractères de l’alphabet latin utilisés pour transcrire la langue ombrienne, on remarquera que l’ombrien semble avoir pour modèle l’alphabet latin utilisé entre le IVe et le IIe siècle av. J.-C., comme tendrait à le prouver le fait que, bien que le signe pour Z () soit présent et fonctionnel dans l’ombrien à base étrusque, il apparaît dépourvu de certains signes tels que, justement, le Z et le Y qui, comme on le sait, dans l’alphabet latin sont introduits, ou réintroduits, seulement à partir environ du IIe siècle av. J.-C.. Toutefois, l’absence de Z en graphie ombro-latine semblerait malgré tout anormale. En effet, le son [ts], qui dans l’ombrien à base étrusque est rendu par le signe déjà indiqué , dans l’ombrien à base latine il l’est par le signe pour S ().Mais, en fait, cela crée une homographie et le doublon inutile d’un signe qui a déjà une valeur phonétique propre bien définie. De plus, si l’on tient compte de l’usage plutôt tardif de la graphie à base latine, il aurait été peut-être plus logique et pratique d’emprunter ce signe ou à d’autres traditions graphiques, comme par exemple la tradition osque à base latine (où le signe latin pour Z est attesté), ou bien à l’alphabet latin lui-même. En effet, si l'attribution chronologique est exacte, il y aurait en faveur de l’alphabet latin le fait que les inscriptions ombriennes en graphie latine semblent se répandre justement à un moment où il est possible qu’en latin le signe pour Z commençait à être réintroduit.
Sur la base de ce que nous venons de dire, outre que l’anomalie apparaît clairement, on comprend en quoi cette absence contribue pour beaucoup à augmenter les doutes déjà émis au sujet de la chronologie selon laquelle l’alphabet latin s’est diffusé et n’aide en aucune manière à dater plus précisément les textes qui nous sont parvenus. Mais les différences entre les deux graphies ne s’arrêtent pas ici. En effet, à côté de l’absence de Z, on signale:

  1. 1) le remplacement du signe pour K par celui pour C pour indiquer l’occlusive gutturale sourde [K] ;
  2. 2) l’ajout, par rapport à la graphie à base étrusque, du signe pour G, issu probablement de l’utilisation d’un diacritique apposé au signe pour C, permettant d’indiquer l’occlusive gutturale sonore [g] alors que l’ombrien à base étrusque utilise, indistinctement et exclusivement, le K aussi bien pour l’occlusive gutturale sourde que pour l’occlusive gutturale sonore ;
  3. 3) l’ajout, par rapport à la graphie à base étrusque, du signe pour D afin d’indiquer la dentale sonore [d], alors que l’ombrien à base étrusque utilise, indistinctement et exclusivement, le signe pour T aussi bien pour la dentale sourde que pour la dentale sonore, bien que la présence du seul theta induise à penser que l’articulation des dentales pourrait être plus complexe que ce que nous arrivons à déduire ;
  4. 4) l’utilisation du signe V pour indiquer aussi bien le son [w] que le son [u] et celle du signe O pour le son [o] alors que la graphie à base étrusque emploie le signe V pour indiquer le son [u] et le son [o] et l’ancien digamme () pour indiquer le son [w];
  5. 5) l’absence d’un signe ou de plusieurs signes pour rendre ce qui en graphie à base étrusque est exprimé à travers l’usage de theta () et de san ();
  6. 6) l’utilisation du diacritique sur le S () pour exprimer le signe  de la graphie à base étrusque qui phonétiquement pourrait correspondre ou à un [t∫] ou à un [ç] ou à un [∫];
  7. 7) l’utilisation du digraphe RS pour exprimer le signe   de la graphie à base étrusque qui phonétiquement semble correspondre à un [ɖ] rétrofléchi;
  8. 8) l’ajout du signe Q absent dans l’ombrien à base étrusque pour indiquer le son [kw].

En ce qui concerne l’aire de diffusion et la chronologie des inscriptions en graphie latine, il faut signaler que, sur la base des découvertes actuelles, bien qu’elles se situent, comme on l’a dit, sur tout le territoire de l’Ombrie ancienne, les attestations les plus importantes proviennent de la région de Terni et remontent pour la plupart au IIe siècle av. J.-C..
Enfin, le sens de l’écriture, contrairement à la graphie à base étrusque, se développe de gauche à droite et les lettres présentent une forme très régulière.


Supports, contenus, façons d’écrire et outils d’écriture

Si l’on tient compte de la possible sinon probable utilisation de matériaux (et/ou d’objets) qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous en raison de leur détérioration, tels le bois, le tissu, etc., les principaux supports d’écriture dont nous ayons un témoignage certain de leur usage sont:

  • - la pierre;
  • - le métal (le bronze et, probablement, l’argent et l’or).

La pierre, étant donné sa plus grande dureté et sa résistance supérieure, était généralement employée pour des inscriptions votives, sacrées, funéraires, dédicatoires ou à caractère institutionnel.
L’écriture sur les métaux précieux était bien sûr plus rare en raison de la nature du support. C’est pourquoi on y avait recours seulement pour rédiger des textes particuliers à caractère tant institutionnel que religieux ou pour accroître encore davantage le caractère précieux d’objets de valeur. Parmi les métaux, la préférence allait au bronze, utilisé, outre que pour les dédicaces votives, pour des textes normatifs, religieux, juridiques.
Ce métal était utilisé aussi pour frapper les monnaies. Il faut signaler à ce propos que, jusqu’à aujourd’hui, seulement des pièces en bronze ont été retrouvées (à titre d’exemple, on citera les deux pièces de monnaie découvertes à Gubbio et à Todi, portant respectivement les inscriptions ikuvini et tutere), ce qui ne veut pas dire que des pièces en argent (comme cela est attesté en osque), et même en or, n’aient pas existé.