Mnamon

Les écritures anciennes de la Méditerranée

Guide critique des ressources électroniques

Sud-picène

par: Laura Montagnaro (traduit par Nicole Maroger)


  • Présentation
  • Index
  • Les Écritures

Un problème de dénomination


Le terme ‘sud-picénien’ représente l’un des termes employés pour se référer à la langue et à l’alphabet attestés par vingt-trois textes épigraphiques pré-romains retrouvés dans une aire située entre les régions actuelles des Marches et des Abruzzes, datables entre le VIe et le IIIe siècle av. J.-C.
Lorsqu’elle se réfère à ces inscriptions et à la langue qu’elles véhiculent, la critique moderne utilise une nomenclature différente selon le point de vue/perspective qu’elle adopte: A. Morandi adopte l’expression inscriptions médio-adriatiques (A. Morandi, Le iscrizioni medio-adriatiche, Firenze 1974), A. Marinetti (A. Marinetti, Le iscrizioni sudpicene, Firenze 1985 puis dans ses travaux postérieurs) emploie ‘inscriptions sud-picéniennes’ tandis que A. La Regina, dans le traitement de cette documentation, opte pour ‘inscriptions paléo-sabelliques’, choix maintenu dans une de ses récentes publications (A. La Regina, Il guerriero di Capestrano e le iscrizioni paleo sabelliche, in Pinna Vestinorum e il popolo dei Vestini, a cura di L. Franchi dell’Orto, Roma 2010). Aucune de ces étiquettes n’est de nature à satisfaire pleinement les exigences d’une représentation exhaustive du cadre social et ethnique complexe dont ce groupe d’inscriptions est le témoignage. Lorsqu’on se réfère à celles-ci et à la langue qu’elles attestent, on doit donc forcément tenir compte de la variété des nomencaltures afin de faciliter l’accès à la bibliographie. L’usage que nous faisons ici de ‘sud-picénien’ est dû au fait que, suite au travail de H. Rix, Sabellische Texte: die Texte des Oskischen, Umbrischen und Südpikenischen, Heidelberg 2002, ce terme a été généralement accepté et utilisé pour désigner ce groupe d’inscriptions.



Index

Le corpus, la classification et les difficultés interprétatives des textes.

Le corpus limité des inscriptions sud-picéniennes, à situer dans une période s’étendant du VIe au IIIe siècle av. J.- C., révèle une langue indo-européenne qui fait partie du groupe des dialectes italiques et laisse apparaître d’innombrables affinités avec ce qui se configurera plus avant dans le temps comme l’ombrien. L’aire géographique concernée par la découverte des inscriptions est délimitée par les provinces actuelles de Teramo, L’Aquila, Ascoli Piceno, Fermo et Macerata; il ne faut pas oublier non plus de signaler la découverte d’une inscription en graphie et en langue sud-picénienne dans l’ancienne Cures, aujourd’hui Fara Sabina dans la province de Rieti. Il faut considérer à part deux casques portant une inscription en graphie sud-picénienne, retrouvés à Bologne et à Canosa di Puglia (Bari), si ces objets attestent indubitablement la donnée linguistique, ils ne sont pas pour autant significatifs de l’aréalité.
Dans ces mêmes lieux, à partir du IIIe siècle av. J.- C., l’unité linguistique et épigraphique sud-picénienne sera remplacée par la documentation en alphabet latin des dialectes ‘mineurs’ ou ‘sabelliques’. Malgré la constatation du caractère italique de la langue, des difficultés d’interprétation demeurent, en particulier pour les inscriptions les plus longues, tant en raison de la complexité syntaxique des textes que de l’absence dans la plupart des cas d’éléments récurrents et de formules.
Seulement pour quelques inscriptions parmi les plus brèves dans le corpus sud-picénien, il est possible de reconnaître avec certitude la destination et la finalité du texte écrit, comme dans le cas de l’inscription sur le vase retrouvé à Campovalano pour lequel a été supposée un but de possession: je suis à A[]p/nie (nom individuel au génitif + verbe ‘être’ à la 1ère pers. sing.), ou bien pour l’inscription sur cippe découverte à Servigliano, dont la fonction était vraisemblablement funéraire du moment qu’elle présente la seule désignation antroponymique ‘Nounis Petieronio/Pelteronio efidans’ (formule onomastique du défunt à deux éléments plus un troisième élément en apposition avec une valeur d’ethnique probable).

Inscription de Campovalano:
(Lecture A. Marinetti 1985)
a-piesesum

Inscription de Servigliano:
(Lecture A. Marinetti 1985)
noúínis ⁝ petie/ronios ⁝ efidans ou bien noúínis ⁝ pelte/ronios ⁝ efidans

 

En présence d’inscriptions plus longues, une particularité du domaine épigraphique sud-picénien, une difficulté supplémentaire intéressant les éventuelles tentatives de classification est due au fait que la textualité ne semble pas être reliée aux formules standards; les catégories funéraire-votif, public-privé, auxquelles on a recours d’ordinaire pour définir la nature d’un texte dans d’autres branches de l’épigraphie de l’Italie ancienne, ne semblent pas pouvoir être appliquées ici d’une manière adéquate.
Un exemple significatif de cette difficulté de classification sur le plan de la fonction du texte est fourni par une inscription retrouvée à Loro Piceno, dont la fonction est vraisemblablement funéraire (verbe qupat), mais où des éléments lexicaux tels que apaes ou nir pourraient suggérer une nature publique contextuelle du texte en question. Pour ces inscriptions, dont la complexité pose des problèmes interprétatifs, A. Marinetti a avancé l’hypothèse d’une volonté commémorative et élogieuse (elogia) qui irait au-delà de la fonction strictement funéraire.

Inscription de Loro Piceno:
(Lecture A. Marinetti 1985)
apaes qupat[⁝ e]sm/ín ⁝ púpúnis ⁝ n/ír ⁝ mefiín ⁝ veia/t  ⁝ vepetí
 


La deixis et l’allitération dans les textes sud-picéniens

Outre la longueur et la complexité des textes, les essais d’analyse effectués sur les écrits sud-picéniens ont mis au jour des éléments qui insistent sur la syntaxe et qui compliquent encore davantage les processus de compréhension. Le cas le plus évident est l’emploi fréquent de la deixis qui rappelle le contexte pragmatique de la production des textes eux-mêmes et les entités concernées par l’action.

Les inscriptions présentent une organisation déictique complexe: l’ego se réfère parfois au monument constituant le support d’écriture, comme dans un schéma ‘traditionnel’ d’inscription parlante, d’autres fois il apparaît au contraire comme l’auteur du texte inscrit. Par contre le tu se réfère parfois au lecteur qui s’approche du message, et parfois il représente le destinataire de l’inscription même.
Du point de vue formel le réseau déictique est renforcée par la présence, surtout dans les textes longs, de pronoms relatifs qui font office d’éléments cohésifs et connectifs intertextuels. C’est ainsi que dans une des inscriptions retrouvées à Penna Sant’Andrea on trouve un exemple de relatif tel que ‘tibi cui’ qui se réfère au tu-personnage à qui est dédié le monument funéraire.

Inscription de Penna Sant'Andrea:
(Lecture A. Marinetti 1985)
brímeidinais ⁝ epe[                  ]psúq ⁝ qoras ⁝
qdufenúí
]rtúr ⁝ brímeqlúí  ⁝ alí/ntiom ⁝ okreí ⁝ safina[/
]nips ⁝ toúta ⁝ tefeí ⁝ p/osmúi ⁝ praistaínt ⁝ a[

Un autre élément caractéristique de ces textes inscrits est la recherche intentionnelle d’un rythme, obtenu à travers l’allitération des sons, c’est-à-dire à travers la répétition des mêmes sons au début de deux mots ou davantage. Dans ce cas aussi, il est raisonnable de penser que la syntaxe et la structure des textes en général se ressentent de cette volonté ‘artificielle’ qui influe sans aucun doute sur la place naturelle des éléments à l’intérieur de la phrase.

Inscription de Bellante
(Lecture A. Marinetti 1985)
postin ⁝ viam ⁝ videtas ⁝ /tetis ⁝ tokam ⁝ alies ⁝ e/smen ⁝ /vepses ⁝ vepelen


Une interprétation par ‘noyaux d’évidence’

Vu les difficultés qui se présentent au cours du processus herméneutique, dans l’analyse des inscriptions les plus longues on doit par la force des choses procéder par ‘ noyaux d’évidence’, c’est-à-dire identifier tous les traits grammaticaux et lexicaux que l’on peut considérer comme des données acquises. Jusqu’à aujourd’hui on a pu relever avec un certain degré de certitude les formes suivantes:
- des substantifs indiquant les monuments: kora ‘pierre travaillée’, meitimo- / praistakla ‘cippe’, uepet- ‘sépulcre ?’;
- des éléments lexicaux présents aussi dans d’autres langues italiques: c’est le cas de pater- / mater, de ner- ‘princeps’ dans le contexte institutionnel, de toúta: ‘communauté’, d’okre: ‘citadelle’;
- des adjectifs: kupri- ‘bon’, mefio- ‘moyen’, safino- ‘sabin’;
- des éléments déictiques;
- des formes verbales relatives à l’action de ‘donner’ kduíú, à l’action de ‘faire’ opsút, à l’action d’ ‘être’ (du monument érigé) adsta-, praista-.




Les Écritures

  1. Sud-picène