Mnamon

Les écritures anciennes de la Méditerranée

Guide critique des ressources électroniques

Hourrite

par: Giulia Torri (traduit par Nicole Maroger)


  • Présentation
  • Les Écritures

La langue hourrite: typologie et définition

La langue hourrite est une langue parlée entre la fin du IIIe millénaire et la fin du IIe millénaire av. J.-C. par une population d’origine inconnue, les Hourrites, établie surtout dans la Mésopotamie septentrionale et dans le sud-est de la Turquie. Elle est attestée en outre comme langue littéraire à Ougarit, Émar et surtout Hattuša (à partir du XVe siècle), site d’où proviennent de nombreux fragments écrits entièrement dans cette langue ou bien bilingues, hittites et hourrites.
Du point de vue morphologique, le hourrite est une langue agglutinante dans laquelle les morphèmes s’enchaînent d’une manière rigide et invariable à la droite du radical.
Il s’agit également d’une langue ergative: le sujet des verbes transitifs est marqué par un cas ergatif et le sujet des verbes intransitifs ou l’objet des verbes transitifs est marqué par un cas absolu.
On ignore encore à quelle famille linguistique appartient le hourrite qui apparaît comme une langue profondément différente des langues parlées à la même époque dans le Proche Orient ancien. Typologiquement on peut le comparer au Sumérien et au Hatti, langues agglutinantes elles aussi. L’urartéen est une langue soeur du Ier millénaire av. J.-C., attestée dans la région correspondant aux états actuels de l’Arménie et de l’Azerbaidjan et aux contreforts les plus septentrionaux de l’Iran et de l’Iraq.
Le terme aujourd’hui utilisé pour indiquer tant la langue que la population, hourrite, ou hourrique, vient du toponyme KUR URUHurri "pays de Hurri", attesté dans les sources hittites et employé pour définir l’aire de la Mésopotamie septentrionale qui à partir du milieu du IIe millénaire sera occupée par le royaume de Mittani.
Dans les textes de Hattuša le terme hurlili sert à désigner les formules et les sortilèges en langue hourrite insérés dans les rituels hittites. A ce jour, on ne connaît pas d’autres termes désignant cette langue. Dans la lettre de Mittani, important document du XIVe siècle provenant du site d’el Amarna, on trouve le terme hurroġe qui a une valeur géographique.

 

Variantes dialectales

Bien qu’au cours de son histoire le hourrite présente une étonnante homogénéité, on peut distinguer deux variantes dialectales principales (ou phases linguistiques selon certains spécialistes):
- ce qu’il est convenu d’appeler le paléo-hourrite: la langue dans laquelle est rédigée l’inscription de Tišatal d'Urkeš, le document le plus ancien que nous connaissions (2000-1950), proche de la langue hourrite des textes plus tardifs d’Hattuša.
- le hourrite de la lettre de Mittani qui se distingue du précédent surtout par une structuration différente du système verbal.

 

Sources pour la reconstitution de la langue hourrite

Des sources importantes pour la compréhension du hourrite sont représentées par des documents entièrement rédigés dans cette langue, mais aussi par des témoignages écrits conservant des éléments d’onomastique. Bien que le hourrite soit encore imparfaitement déchiffré, il est certain que les populations de langue hourrite ont eu une grande influence sur la culture intellectuelle et matérielle des peuples avec qui elles sont entrées en contact.

Les premières sources relatives à la langue hourrite remontent à la dernière phase du troisième millénaire.
Le nom d’un souverain hourrite, Tahiš-Atili d'Azuhinum est mentionné dans un “nom d’année” de Naram-Sin (2254-2218) où est évoquée la conquête de cette localité et l’emprisonnement de son souverain. Le sceau retrouvé à Tell Brak portant le nom d’un certain Talpuš-atili, “soleil du pays de Nagar, fils de [ ]” remonte à la fin de l’époque akkadienne”.
Le document le plus ancien en hourrite est l’inscription de la fondation du temple de Nergal qui porte le nom du dédicateur, Tiš-atal, endan d'Urkeš (Tell Mozan). La tablette, en pierre calcaire, est placée entre les pattes d’un lion en bronze. Le texte remonte à l’époque de la troisième dynastie d’Ur (2000-1950).
La tablette en bronze, aujourd’hui au musée du Louvre, portant l’inscription dédicatoire d’Atal-šen, roi d’Urkeš et Nawar, constructeur du temple de Ner(i)gal, est de la même époque ou de peu postérieure. Cette tablette est en langue akkadienne mais les noms des personnes sont sans controverse d’origine hourrite.
En ce qui concerne le IIe millénaire av. J.-C., des documents en langue hourrite ou présentant des termes et une onomastique hourrites proviennent de nombreux sites de la Syrie, de la Mésopotamie septentrionale, mais aussi de l’Anatolie. Certains documents de l’époque paléo-babylonienne sont originaires de la Babylonie et de Mari mais ne sont pas tout à fait compréhensibles. A l’époque babylonienne moyenne, la documentation d’Alalakh également et celle de Nuzi en Syrie, de même que les tablettes de Kaneš en Anatolie, bien qu’en langue akkadienne, ont révélé une onomastique et des mots en hourrite.
Les documents provenant de Tikunani, une ville non encore identifiée mais située probablement en amont du Tigre et de l’Euphrate, sont essentiels pour reconstituer l’histoire des Hourrites en Syrie et celle de leur langue. Le roi de cette ville portait un nom hourrite, Tunip-Tešup, et c’était un contemporain du souverain hittite Hattušili Ier (XVIIe siècle av. J.-C.) ainsi qu’en témoigne une lettre en langue akkadienne. Parmi les documents qui lui sont attribués, il existe un prisme portant une liste de 483 noms de Hapiru, dont la majorité sont hourrites.
A Ougarit ont été retrouvés plusieurs textes en langue hourrite, parmi lesquels une liste lexicale en sumérien et en hourrite de la série HAR-ra = hubullu et des dictionnaires plurilingues qui ont permis d’établir le sens de nombreux termes hourrites grâce à la correspondance directe avec des mots sumériens, akkadiens et ougarites. Une liste lexicale avec une colonne en hourrite a été retrouvée à Émar. Enfin, des textes en langue hourrite provenant du site de Qatna ont été découverts récemment.
Cependant, le document le plus important de la seconde moitié du IIe millénaire est la lettre de Mittani (XVe-XIVe siècle av. J.-C.), dont le souverain Tušratta a entretenu des rapports diplomatiques avec le pharaon Aménophis III (puis avec Aménophis IV). Bien que la plus grande partie de l’échange épistolaire entre ces souverains s’effectue en langue akkadienne, une lettre de cinq cents lignes entièrement en hourrite a été retrouvée à Amarna en 1888/1889. Ce document appartenait à la suite de la princesse hourrite envoyée se marier avec Aménophis III. Le texte calque le formulaire des lettres en akkadien et c’est pourquoi il a servi de base à l’étude de la langue hourrite et à sa compréhension.
Entre le XVe et le XIIIe siècle av. J.-C., un grand nombre de textes en langue hourrite, en particulier à caractère religieux, ont été copiés par les Hittites, influencés bien évidemment par la culture de cette population. De très nombreux fragments ont été archivés dans la capitale hittite Hattuša. Il s’agit de rituels magiques ou de sortilèges hourrites, insérés dans des descriptions de pratiques magiques en langue hittite, de textes mythologiques et de textes de type oraculaires. La découverte fondamentale pour l’analyse linguistique est constituée par le “Chant de la Libération” (SÌR para tarnummaš [hitt.] / kirenzi [hour.]), une composition bilingue hourro-hittite, de l’époque hittite moyenne, où est narrée la destruction de la ville d’Ébla. Le texte a été retrouvé au cours des fouilles de 1983/85 dans les temples 15 et 16 de la Ville Haute d’Hattuša. Des textes en langue hourrite sur des sujets religieux, encore inédits, proviennent du site d’Ortaköy, l’ancienne Šapinuwa. En 2005, durant des fouilles sur le site de Kayalıpınar, le fragment Kp 05/226, entièrement en hourrite, a été découvert. Selon son éditeur, G. Wilhelm, il décrit une campagne militaire du côté de Kizzuwatna dans le sud de l’Anatolie et à Alalah/Mukiš.
Avec la crise politique et sociale de la période du Bronze récent qui frappe principalement la Syrie et l’Anatolie et qui détermine la fin des structures étatiques de ces aires, la documentation en hourrite disparaît.

 



Les Écritures

  1. Hourrite