Mnamon

Les écritures anciennes de la Méditerranée

Guide critique des ressources électroniques

Hiéroglyphique crétois

- XVIIIe – XVIIe siècle av. J. – C.

par: Maurizio Del Freo    DOI: 10.25429/sns.it/lettere/mnamon021     (traduit par Nicole Maroger)
Dernière mise à jour: 4/2022


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Médaillon provenant du ‘Hieroglyphic Deposit’ de Cnossos, XVIIIe siècle av. J. – C. (Musée d’Héraklion, Crète).


Le “hiéroglyphique” crétois est une écriture non déchiffrée, attestée en Crète et, sporadiquement, dans les îles de la Mer Égée (Cythère et Samothrace) entre le XVIIIe et le XVIIe siècle av. J.–C., la période dite des “Premiers palais” crétois. Il est possible toutefois que les premières traces datent de la période pré-palatiale. En effet, plusieurs sceaux provenant de la Crète centrale et remontant aux XXIe-XIXe siècles av. J.–C., présentent des traces d’une écriture semblable. Quelques empreintes de sceaux avec des inscriptions en “hiéroglyphique” crétois ont été trouvées dans des contextes remontant au XVe siècle av. J.–C. Ces datations, loin de certifier que le “hiéroglyphique” crétois avait survécu jusqu’à une époque aussi tardive, s’expliquent simplement par l’utilisation résiduelle de certains sceaux anciens.


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Index

Le mot “hiéroglyphique”

On doit la définition de “hiéroglyphique” crétois à A. Evans (1851-1941) qui se basa sur la ressemblance présumée de certains signes avec ceux de l’écriture hiéroglyphique égyptienne. Cette ressemblance s’est ensuite révélée inexistante mais l’appellation de “hiéroglyphique” a été conservée en hommage à la tradition.


Origines de l’écriture

Le “hiéroglyphique” crétois n’a pas d’antécédents hors de Crète. Il s’agit donc probablement d’une création locale qui s’est inspirée en partie des principes généraux du fonctionnement des systèmes graphiques du Proche-Orient. L'étiquette "écriture d'Archanès", inventée par P. Yule en 1980 pour les sceaux prépalatiaux d'Archanès, est trompeuse. Les seuls signes d'écriture qui peuvent être identifiés avec certitude sur les sceaux prépalatiaux d’Archanès sont au nombre de cinq (très probablement organisés en une séquence de deux + trois signes). Les tentatives d'identifier d'autres symboles comme étant des signes d'écriture ne sont pas convaincantes. Cette séquence se répète également dans des sceaux plus récents provenant d'autres sites. Quatre signes de la séquence sur cinq sont attestés à la fois dans le "hiéroglyphique" crétois et dans le linéaire A. A la limite donc, on peut parler de "formule d'Archanès", mais pas d'"écriture d'Archanès". Les similitudes avec les signes du "hiéroglyphique" et du linéaire A ont donné lieu à deux théories distinctes : selon certains la "formule d'Archanès" serait en "hiéroglyphique" crétois, selon d'autres elle serait en linéaire A. Pour toute une série de raisons, notamment l'existence d'environ 150 sceaux hiéroglyphiques par rapport à l'absence quasi totale de sceaux en linéaire A, on penche aujourd'hui vers la première des deux hypothèses.


Typologie des inscriptions

On possède en tout guère plus de 360 inscriptions en “hiéroglyphique” crétois. Elles sont gravées pour plus de la moitié sur des documents d’archives en argile (tablettes, barres à section quadrangulaire, médaillons, crétules avec ou sans empreintes de sceaux, inscrits ou non), 150 environ sont gravées sur des sceaux en ivoire, en pierre ou en métal, tandis que plusieurs dizaines sont gravées ou peintes sur des vases en terre cuite et des objets en pierre. Les documents d’archives enregistrent des transactions de nature économique et administrative (entrées et sorties de denrées des palais et de leurs annexes). La fonction des sceaux portant des inscriptions est moins claire. La présence de signes décoratifs à côté de signes d’écriture suggère une fonction ornementale. Toutefois, comme sur certains scellés on remarque des empreintes de sceaux inscrits, il est probable que ces derniers avaient aussi une fonction de type “économique”. Quant aux inscriptions sur les vases, une fonction de type “religieux” n’est pas à exclure pour ces dernières.


Aire de diffusion des inscriptions

Les documents d’archives inscrits ou scellés proviennent des sites de Cnossos, Phaistos, Mallia, Petras, Kato Symi (Viannos) et peut-être Zominthos, en Crète [cliquer sur la carte], et de celui de Mikro Vouni, à Samothrace. Les sceaux inscrits sont pour la plupart d’origine incertaine, car beaucoup d’entre eux ne proviennent pas de fouilles régulières. Leur aire d’origine cependant est la Crète centre-orientale. Toutefois, un sceau a été trouvé récemment à Vrysinas dans l'ouest. L’unique sceau qui sans l’ombre d’un doute ne provient pas de l’île a été trouvé à Cythère. Quant aux vases, la majorité d’entre eux provient de Mallia.


Type d’écriture

Le “hiéroglyphique” crétois, comme les autres écritures crétoises de l’époque du bronze (linéaire A et linéaire B) sont une écriture logo-syllabique, c’est-à-dire formée de logogrammes et de syllabogrammes. Les premiers sont des signes qui correspondent à des mots tandis que les seconds correspondent à des syllabes. En l’état actuel des connaissances, le syllabaire de l’écriture “hiéroglyphique” crétoise se compose de 96 signes (dont 10 sont utilisés aussi comme logogrammes). Pour des motifs statistiques, il est probable que chaque syllabogramme correspondait à une syllabe ouverte, c’est-à-dire formée par une voyelle ou par une séquence de consonne + voyelle. Jusqu’à ce jour, 33 logogrammes, représentant des objets et des denrées, ont été décryptés. À ces signes viennent s’ajouter 4 symboles pour les chiffres (1, 10, 100 et 1 000) et 9 pour les fractions (de valeur incertaine et, dans quelques cas, utilisés aussi en ligature). L’écriture “hiéroglyphique” crétoise n’a pas de sens d’écriture prédéfini. Les séquences syllabiques peuvent donc être écrites de droite à gauche comme de gauche à droite. Mais souvent elles sont précédées d’une croix qui semblerait indiquer le début de la séquence. Comme le “hiéroglyphique” crétois n’est pas déchiffré, les textes ne sont pas translittérés mais transnumérés. Ce qui veut dire qu’à chaque signe correspond un numéro d’ordre conventionnel (voir “Liste des symboles” et “Ressources en ligne” à l’entrée “CHIC. Corpus Hieroglyphicarum Inscriptionum Cretae”).


Rapports avec l’écriture linéaire A

Les documents en lineare A, en grande partie de type comptable, remontent à une époque comprise entre le XIXe et le XIVe siècle av. J.–C. L’écriture hiéroglyphique crétoise et le linéaire A sont donc deux écritures en partie contemporaines. Le fait que 20% seulement des syllabogrammes des deux écritures soient homomorphes tend à exclure tout processus de filiation. Par contre, la ressemblance des logogrammes et des signes indiquant les chiffres et les fractions témoigne d’une influence réciproque dans un contexte “commercial”. On ne sait pas vraiment pourquoi en Crète, pendant un certain temps, deux écritures distinctes ont été utilisées pour des fonctions identiques. On comprend encore moins pourquoi dans deux cas (à Mallia et probablement à Cnossos) des textes rédigés dans les deux écritures ont été trouvés dans les mêmes archives.