Mnamon

Les écritures anciennes de la Méditerranée

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Cunéiforme sumérien

- (IIIe millénaire – premiers siècles du IIe millénaire av. J.-C.)

par: Salvatore Gaspa    DOI: 10.25429/sns.it/lettere/mnamon031  (traduit par Nicole Maroger)
Dernière mise à jour: 6/2022


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Inscription sur une statue en diorite de Gudea, gouverneur de Lagash, dédiée au dieu Ningishzida, env. 2010 av. J.-C., AO 3293, AO 4108, Musée du Louvre, Paris.


Le cunéiforme sumérien a été en usage du IIIe millénaire au début du IIe millénaire av. J.-C. pour transcrire la langue du pays de Kiengir. Il sera également adopté par la population sémitique de langue akkadienne pour enregistrer sa propre langue. À partir du IIIe millénaire av. J.-C. il sera en effet utilisé pour formuler l’akkadien en Mésopotamie et l’éblaïte en Syrie. C’est de l’adaptation de l’écriture cunéiforme sumérienne des origines que découlent les autres systèmes d’écriture cunéiforme en usage dans le Proche-Orient ancien.

 


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Définition de “cunéiforme” et type d’écriture.

Par convention, les spécialistes appellent “cunéiforme” l’écriture sumérienne en raison de la forme de ses signes, semblable à celle d’un coin ou d’un clou (du latin cuneus). La forme du coin est due à l’impression d’un calame en roseau sur la surface encore humide d’une tablette en argile. Un signe cunéiforme peut être constitué d’un seul ou de plusieurs coins. Les coins peuvent être de type horizontal, vertical, en diagonale et en Winkelhaken. Le signe appelé Winkelhaken était obtenu par impression verticale de la pointe du calame sur l’argile. Le cunéiforme sumérien se lit de gauche à droite. Cependant, au cours des périodes les plus anciennes de l’écriture, de la fin du IVe millénaire av. J.-C. à l’époque paléo-babylonienne comprise, les caractères, organisés en colonnes, étaient lus de haut en bas et de droite à gauche. Avec le temps, les signes auront tendance a subir une rotation vers la gauche de 90°. L’écriture comprend un ensemble d’environ 600 signes.


L’écriture cunéiforme et la langue sumérienne

Au pays de Sumer, la première phase de l’écriture cunéiforme, dont les témoignages remontent environ entre 3500 et 3000 av. J.-C., est idéographique et ne permet d’identifier aucune langue. Cette première forme d’écriture est appelée “proto- cunéiforme”, car les signes n’ont pas encore pris leur forme caractéristique de “clous”, typique du cunéiforme, et reproduisent l’objet sous la forme d’un dessin. Aux premières tablettes, portant uniquement des signes numériques, ont fait suite des tablettes numériques-idéographiques. Ce système a été conçu évidemment pour servir d’outil comptable et administratif, et non pour écrire ou transcrire une langue parlée. Après cette phase proto-littéraire, caractérisée par l’emploi d’environ 900 signes, débute une phase où l’écriture, qui prend la forme d'un système logographique, enregistre des éléments phonétiques permettant d’identifier la langue des textes comme étant le sumérien: c’est la phase des documents provenant de Jemdet Nasr qui remontent au XXXIe ou au XXXe siècle av. J.-C. Une simplification progressive du nombre et de la forme des signes a lieu au cours des siècles suivants. L’écriture cunéiforme qui a résulté de ce développement, apparemment plus adaptée à rendre le sumérien que les langues sémitiques du fait de la présence dans le sumérien de monosyllabes et de l’agglutination, est cependant peu indiquée pour rendre les particularités phonétiques de cette même langue sumérienne car cette écriture était née à l’origine pour satisfaire des exigences de comptabilité administrative: en effet, certains morphèmes importants de la langue n’y sont pas représentés. La reconstitution de la phonétique sumérienne se base sur des abécédaires et des dictionnaires bilingues suméro-akkadiens, des gloses, des écritures non orthographiques ou syllabiques. L’inventaire des sons sumériens comprend quatre voyelles (a, e, i, u) et seize sons consonnantiques (p, b, t, d, dr, k, g, l, r, s, š, z, h, m, n, ĝ). Contrairement à l’akkadien, les sons emphatiques sont absents du sumérien tandis que les phonèmes [dr] et [ĝ]sont des caractéristiques de cette langue.


Particularités du cunéiforme sumérien

Le cunéiforme sumérien est un système mixte syllabo-logographique. Les signes cunéiformes peuvent être de différentes sortes: des logogrammes lorsqu’ils représentent des mots; des syllabogrammes lorsqu’ils représentent des syllabes; des déterminants ou des classificateurs sémantiques lorsqu’ils représentent des catégories conceptuelles de référence et des classifications de mots. En outre, pour faciliter la lecture de certains signes des indicateurs phonétiques pouvaient être apposés. En vertu du principe syllabo-logographique de l’écriture sumérienne, chaque mot pouvait être rendu par une séquence de syllabogrammes ou par un signe logographique correspondant. Les principes qui régissent le système cunéiforme sont l’homophonie et la polyphonie: il y a homophonie lorsqu’un même son peut être représenté par différents graphèmes; il y a polyphonie lorsqu’un même signe peut indiquer différentes séquences de sons. Ces différentes séquences de sons sont appelées valeurs phonétiques (par exemple, le signe GUB peut être lu aussi bien comme gub que comme ĝen, du, de6, túm, rá, re6, laḫ5). Dans la translittération, les graphèmes homophones sont indiqués par convention au moyen d’accents et de numéros souscrits selon l’ordre suivant: le signe utilisé le plus fréquemment ne présente aucun signe diacritique (par exemple du) alors que le second et le troisième sont marqués respectivement par un accent aigu et un accent grave sur la voyelle (dú, dù). Enfin, les autres graphèmes sont marqués par des numéros souscrits (du3, du6, du7, du8, du10, du11).


Déchiffrement du cunéiforme sumérien

Le déchiffrement de l’inscription trilingue de Darius à Behistun (Iran occidental), écrite en ancien persan, en élamite et en akkadien (voir la section consacrée au cunéiforme akkadien), a permis de comprendre le système logographique qui régissait l’écriture cunéiforme et a jeté les bases qui ont permis d’identifier le sumérien. Les inscriptions cunéiformes, retrouvées durant les fouilles archéologiques effectuées en 1855 dans l’Irak méridional, s’avèrent écrites dans une langue inconnue. Le prélat irlandais Edward Hincks (1792-1866), qui travailla au déchiffrement de l’inscription de Behistun et auquel on doit un apport fondamental au déchiffrement de l’akkadien, fut le premier à se douter que le cunéiforme avait une origine non sémitique car ce genre d’écriture était constitué de syllabogrammes dont les valeurs phonétiques ne pouvaient être expliquées à travers une comparaison avec les langues sémitiques connues. Autrement dit, il comprit la caractéristique agglutinante de cette nouvelle langue. Le Français Julius Oppert (1825-1905) suggéra que l’akkadien avait été précédé d’une langue non sémitique dont les locuteurs avaient été sans doute les véritables inventeurs de l’écriture cunéiforme. Durant la seconde moitié et en particulier à la fin du XIXe siècle, de nombreux textes écrits dans une langue non sémitique furent découverts dans plusieurs sites de l’Irak méridional, par exemple à Nippur, Larsa, Uruk et Lagash. En 1869, Oppert appela “sumérien” cette langue inconnue et encore non traduite. Avec la découverte et l’étude de la langue des textes sumériens de la basse Mésopotamie et avec la publication des premiers travaux lexicographiques, des listes de signes et des éditions de textes relatifs à la langue sumérienne (dus à P. Haupt, E. de Sarzec, F. Delitzsch, R. Brünnow et F. Thureau-Dangin), l’interprétation de Joseph Halévy selon laquelle le sumérien n’était autre qu’un “code secret” fut définitivement abandonnée.